J'ai beaucoup de chance d'appartenir à une famille nombreuse. Je remercie
vivement mes parents d'avoir joué à la loterie génétique malgré les conseils
des médecins, qui préconisaient d'attendre que la science découvre comment
éradiquer la mucoviscidose. Grâce à leur petit défi à la science, la famille
s'est considérablement agrandie en peu de temps, et me voilà l'aînée d'une
fratrie de quatre soeurs.
Nous avons quatre morphologies assez différentes, quatre caractères plutôt
différents, quatre coupes de cheveux très différentes, et quatre habitudes
alimentaires carrément différentes ! Néanmoins, nous vénérons toutes ce
lien sacré entre nous, et c'est fabuleux.
Depuis que nous avons toutes fini nos études supérieures, nous nous réunissons
une fois par an pour un "week-end entre soeurs". Cette année, on s'en est mis
plein les yeux lors de la revue Féérie du Moulin Rouge ! Nous avons passé
une excellente soirée dans cette salle parisienne mythique, en profitant du
spectacle étonnant sur scène, et de la joie de le partager entre soeurs.
Le lendemain, après un petit-déjeuner copieux très agréable, il était l'heure
de se dire au revoir et de programmer dans nos agendas le prochain week-end
soeurs. Alice est restée un peu plus longtemps avec moi en attendant l'heure de
son train retour, alors nous avons continué à papoter comme font toutes les
soeurs. Et puis, j'ai senti que quelque chose n'allait pas chez moi, j'ai bondi
d'un coup sur mes pieds pour me précipiter dans la salle de bains en
abandonnant ma soeur en plein milieu d'une phrase.
J'étais en train de faire une hémoptysie, une des complications de l'évolution
de ma mucoviscidose.
Je suis restée plusieurs minutes (huit selon ma soeur, qui était beaucoup plus
alerte que moi) au-dessus du lavabo, pour faire sortir tout ce flot de sang
rouge vif qui remontait dans ma gorge sans que je puisse l'arrêter. En
observant les taches sur l'évier, j'ai pensé aux ailes du Moulin Rouge qui
tournaient. J'étais complètement fascinée par cette couleur. J'étais comme
transportée dans un autre univers, je m'observais cracher mais sans réaliser la
gravité de la situation.
Ce n'est qu'une fois que le flot s'est tari que j'ai repris mes esprits. Ce
n'était certes pas la première fois que j'étais sujette à une hémoptysie,
pourtant comme à chaque fois, je ne savais pas quoi faire et je me sentais
désemparée.
J'ai pris deux cachets d'Exacyl, et j'ai bu beaucoup d'eau pour enlever le goût
du sang dans la bouche. La pneumo m'avait prévenue que si je refaisais une
hémoptysie abondante, on devrait parler d'une artériographie bronchique avec
embolisation, et ce terme complètement barbare me panique tellement que je
n'arrive jamais à retenir son nom.
Mardi, c'est donc avec une certaine appréhension que je me suis rendue à la
consultation pneumo au CRCM. Heureusement pour moi, les indicateurs étaient au
vert, aussi bien pour la capacité respiratoire que pour l'appareil digestif. Le
médecin n'a donc pas souhaité ajouter d'antibiotiques suite à l'hémoptysie de
dimanche. Une nouvelle fois, elle m'a expliqué le principe de l'embolisation et
je me suis appliquée à mieux retenir ses paroles.
L'artériographie bronchique est un examen radiologique qui permet de visualiser
les artères bronchiques qui sont les artères qui nourrissent le poumon et les
bronches. Ces artères, en principe de petite taille, peuvent augmenter de
taille et se rompre (ce qui est favorisé par l'infection et l'inflammation des
bronches, typiques de la mucoviscidose). Elles sont alors responsables d'une
hémorragie dans le poumon et dans les bronches. Grâce à un petit cathéter
introduit en principe dans l’artère fémorale jusqu’à la naissance des artères
bronchiques, on injecte un produit iodé qui opacifie ces artères et permet
ainsi de les visualiser à l’écran. L'embolisation de ces artères vise à arrêter
le saignement en bouchant les artères bronchiques jugées responsables du
saignement par des micro-particules de taille et de nature variable (comme des
petites billes).
L'intervention se fait sous anesthésie locale (aïe !) et le patient doit être
hospitalisé trois jours (double aïe !) afin de contrôler les éventuelles
complications de l'embolisation.
J'ai poussé un grand soupir de soulagement lorsque la pneumo m'a confirmé qu'on
allait attendre la prochaine récidive avant de procéder à l'artériographie
bronchique avec embolisation. Je compte bien savourer ce sursis !
J'en ai également profité pour lui demander la marche à suivre en cas de
récidive, et ce que j'oublie à chaque fois, c'est qu'il faut quantifier le
volume de crachat de sang. Donc, au lieu de me précipiter au-dessus du lavabo,
je devrais me rappeler de cracher dans un récipient. A partir de 200 ml de
sang, on parle d'hémoptysie abondante, et au-dessus de 500 ml, d'hémoptysie
massive (auquel cas, il est conseillé d'appeler les secours !).
J'espère que je me rappellerai de toutes ces consignes lors du prochain
épisode, mais j'espère surtout qu'il ne surviendra pas avant quelque
temps.
Rayons de sourire,
Jessica