La confiance en soi, ça se travaille tous les jours. J’y travaille tous les
jours. Le pire, c’est qu’ensuite il suffit d’un rien pour l’ébranler, cette
confiance en moi durement gagnée. Quand je pense que j’ai enfin accepté mon
corps et l’image que je donne au monde extérieur, je me rends compte que je
suis toujours dans le doute.
Le regard de ma kiné hier soir, quand j’ai enlevé ma robe, ne m’a pas échappé.
Depuis le temps, elle connaît mon corps et ses imperfections. Elle est habituée
à la cicatrice de mon ventre. Elle a plus de mal à s’habituer aux points
rouges, noirs, violets, que laissent les marques des piqûres d’insuline. Mes
taches de rousseur multicolores autour du nombril. Moi aussi d’ailleurs… Je
pensais que ça serait facile, les piqûres dans le ventre, j’ai de la graisse à
ce niveau-là, pas comme sur les bras. Pourtant ça m’arrive de me tromper et de
rencontrer une petite veine au moment d’injecter l’insuline.
J’ai aussi été très déstabilisée l’année dernière, lors d’une fête dans ma
belle-famille, qu’une parfaite inconnue m’aborde directement en demandant si
tout allait bien avec mon cancer… En fait, ma robe laissait voir la cicatrice
de mon port-à-cath, à la base du cou, et elle en avait déduit que j’avais
besoin de ça pour les chimios.
Moi qui pensais m’être débarrassée du regard de l’autre, depuis que mon chéri
me considère comme la fille la plus sexy de la terre (ou peut-être juste
deuxième plus sexy derrière Scarlett Johansson), je me rends compte que j’ai
encore du chemin à parcourir pour m’affranchir du « qu’en dira-t-on ».
C’est comme si je retournais vingt ans en arrière, quand je cachais ce corps à
tous les regards, même le mien. Je considère toujours le maillot de bain comme
une épreuve… alors que je n’ai que des bikinis dans ma garde-robe ! (Mais
je finis toujours par me draper dans ma serviette de bain au bord de la
piscine…)
C’est vrai que je ne peux pas demander aux autres d’accepter mon corps tant que
je ne l’accepte pas moi-même.
Et puis, je suis bien plus dérangée au quotidien par ma toux, que je n’arrive
jamais à cacher, que par mon ventre disgracieux. Je devrais penser, dans ma
liste d'ingrédients pour positiver, à m'accorder une journée sans complexes (et
m'arranger pour que ça tombe les jours où j'ai piscine !)
Rayons de sourire,
Jessica
Jeanne – 16 novembre 1995
Ça devait être ça, la fameuse crise d’adolescence. J’avais des boutons d’acné partout sur la figure, j’étais tout le temps de mauvaise humeur, je ne supportais plus les remarques de ma mère. Mon corps me dégoûtait, j’essayais de le cacher sous des pulls taille XL et je n’étais jamais contente du résultat. J’enviais les filles de ma classe qui étaient parfaites, comme Aurore. Moi, je n’avais toujours pas eu mes règles, et j’avais dû piquer de la crème dépilatoire à ma mère pour enlever les poils de mes jambes en cachette. Je me sentais un peu comme le vilain petit canard, surtout dans les vestiaires des filles avant le cours d’EPS. Je me cachais tant bien que mal dans un coin pendant qu’on se changeait, pour que personne ne remarque ma cicatrice, mes poils, mes seins naissants qui me faisaient tellement honte. Il faut dire qu’on était seulement trois filles à ne plus faire du 75A dans la classe, et je n’assumais pas du tout de sortir du lot de cette manière. C’était d’ailleurs bizarre que j’aie des seins, mais pas d’autres réserves de gras. Sur les courbes de croissance, j’arrivais toujours en dessous, ou au mieux au bas de la fourchette moyenne. Le Dr Sab voulait me rassurer à chaque fois qu’il me mesurait, lui-même n’étant pas très grand. « On a toujours besoin d’un plus petit que soi », certes, mais moi j’avais surtout besoin de plus de confiance en moi.