Ce week-end, j’ai regardé avec beaucoup d’émotions le diaporama qu’un père a
réalisé pour son fils. Comme les photos qui défilent durant une fête de
mariage, pour faire découvrir aux invités de la noce l’enfance du marié.
A la naissance, un bébé tout rose qui braille. Aux premiers pas hésitants, une
frimousse qui fait craquer tout le monde. Le gamin dans la brouette poussée par
son grand-père. Les doigts qui courent sur les touches de piano. A la première
étoile, la fierté du champion qui se lit sur le visage. La découverte des
châteaux de sable et de l’eau salée qui mouille. Les sorties au grand air. Les
petites roues qui disparaissent du vélo. Les pique-niques avec sieste
improvisée devant le break. Le regard enjôleur qui donne à penser qu’il va
faire fondre les cœurs, dans quelques années. La première compétition
officielle de judo. La tendresse des grands-parents lors des réunions de
famille. Une partie d’échecs avec sa sœur. Le look d’ado avec l’apparition de
la première barbe. Les frissons dans les manèges du Parc Astérix. Les jeux à la
console avec sa sœur.
Tout ça, avec l’Adagio d’Albinoni en fond sonore, qui me donne la chair de
poule.
Parce que je n’étais pas à un mariage.
J’étais témoin de l’hommage d’un père à son fils, qui s’est battu férocement
contre la mucoviscidose pour vivre tous ces beaux souvenirs. Ce n’est pas
l’assistance respiratoire à la naissance qui l’a empêché de grandir. Ce n’est
pas l’épicrânienne fixée dans la couveuse qui l’a empêché de trouver son style
de coiffure. Ce n’est pas la cicatrice sur le ventre qui l’a empêché de se
pavaner en maillot de bain. Ce ne sont pas les aérosols quotidiens qui l’ont
empêché de développer une vie sociale. Ce n’est pas le vélo de réentrainement à
l’effort qui l’a empêché de faire du sport. Ce n’est pas la greffe qui l’a
empêché de hurler dans le grand huit. Ce n’est pas cette p*** de maladie qui
l’a empêché d’avoir des papillons dans le ventre en pensant à sa petite
amie.
Certes, il manque une fin heureuse à cette succession de photos, car la
mucoviscidose a finalement eu le dernier mot. Sa vie a été trop courte, sa vie
a été un combat permanent. Mais, grâce à sa famille, ses amis, ses proches, et
surtout sa détermination, sa vie a été intense. Sa vie a été empreinte de
moments merveilleux, de joies partagées, d’émotions fortes qui font que la vie
vaut la peine d’être vécue.
Oui, cela vaut la peine de se battre contre la mucoviscidose et contre toutes
les autres maladies, pour un sourire, pour une bouffée de bonheur, pour un mot
d’amour. Tous ces instants d’éternité resteront à jamais gravés dans les cœurs
de ceux qui les ont vécus. Tout cela, la muco ne pourra jamais nous l’enlever.
Jamais.
Repose en paix.
Rayons de sourire,
Jessica
Jeanne – 16 juillet 2012
Pour moi, la vie valait d’être vécue. Sans hésitation.
Surtout parce qu’elle était éphémère. C’était précisément ce qui lui donnait de la valeur ! De même qu’il devait y avoir sur cette planète des gens en mauvaise santé, pour que ceux qui jouissaient d’une bonne santé puissent la savourer. Julien aimait me répéter qu’il ne se rendait compte de son bonheur d’être en bonne santé que depuis qu’il connaissait les contraintes de la muco. Je me disais que j’avais accompli quelque chose de beau en lui offrant ce cadeau. Je n’y étais pour rien si les dés de la génétique avaient été pipés pour moi et pas pour mes sœurs. Alice s’était souvent sentie coupable que le sort m’ait désignée moi plutôt qu’elle et j’avais eu du mal à lui ôter cette idée de la tête. De toute façon, nous étions tous condamnés à quitter notre enveloppe charnelle, je ne me sentais pas plus lésée qu’une autre. Au contraire, ma chance dans mon malheur avait été de connaître la donne dès le départ. Je me sentais presque avantagée par rapport à ceux qui tombaient de haut à mi-parcours, à l’annonce d’une maladie. Moi, je vivais un combat au quotidien, et chaque jour gagné sur le peu d’espérance de vie qu’on m’avait prédit symbolisait une victoire immense.
En y réfléchissant bien, si on m’annonçait que j’allais mourir la semaine suivante, je ne changerais rien à mon rythme habituel. Quoique… j’arrêterais sûrement les aérosols pour mes huit derniers jours, pour avoir plus de temps pour l’essentiel : l’amour. Je dirais à mes parents que je les aime, je dirais à mes sœurs qu’elles sont les meilleures sœurs du monde, je ferais l’amour à l’homme de ma vie, tant que je pourrais encore utiliser mon corps.