C'est drôle comme parfois certains épisodes se rappellent à moi sans crier
gare. Pas plus tard qu'hier soir, alors que nous étions en train de dîner sur
la terrasse (juste avant que la pluie s'abatte sur l'Ile-de-France en continu),
je me suis revue le jour de mes 6 ans.
Il fait beau en ce début du mois de mai, nous partons pour un pique-nique avec
mon parrain, Béatrice, Hélène, et toute la clique composée par nos frère et
sœurs. Au menu : chips et sandwiches, suivis de jeux en forêt. Avec
Hélène, la "grande" de la bande, je sens que j'ai une alliée de poids face aux
petites sœurs. On est invincibles, toutes les deux ! On s'invente notre
univers, nos histoires de princesses, et il est assez difficile pour les
parents de nous séparer. En montant dans la voiture pour rentrer, je m'aperçois
qu'il me manque quelque chose, et pour cause !, j'ai perdu ma première dent en
croquant dans les chips ! Mais il est maintenant trop tard pour partir à
sa recherche, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Je suis
catastrophée car je me demande comment la petite souris va me croire si je ne
glisse pas la fameuse quenotte sous mon oreiller ! Maman me rassure, ce
genre de mésaventure peut arriver, la petite souris sait que je suis une petite
fille sérieuse, et si elle a un doute, elle verra bien le trou de mon
sourire ! Ouf ! Après le bain, je me fais belle pour souffler mes
bougies lors du dîner. C'est fou, je vois encore le pyjama que je porte ce
jour-là, et surtout, le beau cadeau de mon parrain : mon premier appareil
photo. Il m'apprend à introduire la pellicule, et c'est parti pour mes
premières photos (qui ne sont d'ailleurs pas mémorables, la faute à de mauvais
cadrages... mais c'est comme ça qu'on apprend !).
Hier soir, je ressens soudain quelque chose d'étrange dans ma bouche, et en me
plaçant devant le miroir, je comprends tout de suite. Je me vois à 10 ans.
C'était dans la cour de l'école du Château, avec Mélanie, Pauline et les
autres, on jouait au "taureau" et je suis lamentablement tombée par terre face
contre terre (ou plutôt contre gravier) après avoir perdu mon équilibre lors
d'une course-poursuite. On m'avait enlevé tous les petits cailloux qui
s'étaient collés sur ma figure, sans se rendre compte que, parmi eux, figurait
également un petit morceau de dent. Cette fois-ci, ce n'était pas une dent de
lait, et j'avais gardé ma dent cassée pendant de nombreuses années, jusqu'à ce
que Julien me motive pour demander au dentiste de la réparer. J'avais dépassé
ma peur du dentiste et de la fraise, et depuis deux ans et demi, j'arborais à
nouveau un sourire "en entier"... jusqu'à perdre à nouveau ce petit bout de
dent hier soir.
La petite souris n'est pas passée cette nuit (d'ailleurs, ça ne compte pas, des
bouts de dent !) mais grâce à cet épisode, j'ai effectué une virée en pensée
vers des souvenirs heureux. C'est vraiment tout bête, et pourtant, ça fait du
bien de penser à ces petits moments de bonheur, insignifiants aux yeux des
autres, mais tellement importants pour celui ou celle qui l'a vécu de
l'intérieur. Dans un monde où on nous parle de catastrophes en permanence, où
l'actualité est hallucinante, où on se demande comment ça peut encore empirer,
ces trésors sont la preuve que ça vaut quand même la peine, de vouloir écrire
son propre conte de fées, et d'oublier pour un instant le reste du monde, la
misère, les maladies.
Merci à mes parents, mes sœurs, mes amies de toujours, pour ces moments
magiques. Des moments d'émerveillement, des moments de partage, des moments de
complicité, des moments de bonheur à l'état pur... Tout ce qui fait que je me
bats contre la muco pour pouvoir en collectionner de nouveaux. Totem !
Rayons de sourire,
Jessica
Patricia - 21 mai 1983
Enfin, ce matin-là, j’eus l’autorisation de sortir notre bébé à l’air libre. Cela tombait à pic, car Pascal et Béatrice étaient arrivés de la capitale, la veille, avec Hélène. On présenta à Jeanne son futur parrain, en même temps qu’une copine de jeu. Au départ, Hélène semblait très intimidée par notre bébé, mais rapidement elle commença à s’approcher de Jeanne. Laurent avait apporté la poussette-landau jusqu’à l’hôpital. Elle allait servir pour la première fois !
Pascal eut l’honneur d’installer Jeanne dans son landau, sous les yeux ébahis d’Hélène, qui comparait notre fille à une « toute petite poupée ». J’étais tellement émue ! Notre parcours au-dehors se limita pourtant à trois fois rien : un aller-retour jusqu’au grand cèdre qui ombrageait tout le Pavillon Lenoir. J’enlevai mes chaussures pour goûter à la sensation délicieuse de marcher pieds nus dans l’herbe. Sensation rafraîchissante et relaxante en même temps, qui me donna une impression immédiate de vacances. Le plus incroyable fut que je me sentis d’un coup bien loin de l’hôpital alors que je me trouvais à moins de cinq cents mètres du service de gastroentérologie.