Lors de ma visite au CRCM jeudi dernier, mon optimisme légendaire avait pris
un coup dans l’aile. D’une part, à cause de mon VEMS qui n’avait pas augmenté
comme je l’escomptais. Mais d’autre part aussi à cause d’une nouvelle qui
m’avait peinée. En effet, lors de l’automne 2017, la pneumo m’avait parlé d’un
nouveau protocole de recherche de phase 3 qui concernait mes mutations, et elle
m’avait expliqué comment les patients qui pouvaient participer aux essais
thérapeutiques allaient gagner (en cas de succès) au moins deux ans d’avance de
traitement par rapport aux patients qui attendaient que le traitement soit mis
sur le marché. J’étais même devenue impatiente que 2018 arrive, car cette année
était devenue pour moi synonyme de mon inclusion dans un protocole prometteur,
qui allait m’aider à récupérer des points de VEMS tout en espaçant les périodes
d’infection. Après le Kalydeco (premier potentiateur de CFTR, commercialisé
pour les patients porteurs d’au moins une mutation « gating »), et
l’Orkambi (association de deux molécules actives destinée aux patients
homozygotes DeltaF508), le prochain médicament à l’étude de Vertex prévoyait
une triple combinaison de molécules (trithérapie) pour les patients porteurs
d’une mutation DeltaF508.
Or, jeudi dernier, la pneumo m’a annoncé que le laboratoire avait finalement
décidé de retirer la France des centres impliqués dans les essais cliniques de
son médicament de troisième génération, suite à l’échec des négociations avec
l’agence française du médicament pour se mettre d’accord sur le prix de
commercialisation de l’Orkambi (qui ne bénéficie pour l’instant que d’une
autorisation temporaire d’utilisation en France). Rapidement, 2018 a perdu de
sa superbe, ramené à des problématiques purement mercantiles.
Je pensais que cette information était confidentielle, cependant quelques jours
plus tard, je l’ai retrouvée dans le domaine public, dans les journaux et sur
les réseaux sociaux. Lundi, c’est la Société française de mucoviscidose,
l’association Grégory Lemarchal et l’association Vaincre la Mucoviscidose qui
ont lancé une tribune libre commune pour exprimer leur colère devant la
décision d’exclure les patients français de ces essais cliniques. Décision
d’autant plus difficile à comprendre que les CRCM et l’association ont
activement contribué à la réussite des précédents essais cliniques. Je me
rappelle des employés de Vertex qui avaient participé à la Course des Héros,
fiers de montrer leur engagement auprès des malades.
La mucoviscidose reste malgré tout une maladie rare, une maladie orpheline.
Elle concerne peu de patients et le challenge consiste à mobiliser toute une
filière pour lutter efficacement contre la maladie. Les patients et leurs
familles sont naturellement sensibilisés par cette cause qui impacte leur vie
entière, mais cela ne suffit pas. Il faut réussir à mobiliser des médecins, des
soignants (kinésithérapeutes, infirmières, etc), des chercheurs, des
laboratoires pharmaceutiques, les pouvoirs publics...
Alors, lorsque nos propres alliés dans le combat mené contre la mucoviscidose
deviennent de nouveaux adversaires, et que l'énergie déployée est utilisée pour
rallier les traîtres à la cause, le découragement est grand. Les laboratoires
qui s'investissent dans la recherche pour vaincre la mucoviscidose sont
conscients dès le départ du faible nombre de patients, ce qui implique un
nombre encore plus limité de patients qui peuvent participer aux essais
cliniques. Les traitements commercialisés dans le cadre de la mucoviscidose ne
peuvent pas être distribués à très grande échelle, au contraire des traitements
contre le diabète, une maladie chronique déclarée problème de santé
publique.
Cette situation n'est pas non plus nouvelle en soi. Par exemple, le traitement
par trithérapie du SIDA n'a pas été proposé tout de suite à tous les malades,
mais bien à ceux qui pouvaient se le payer. Les entreprises pharmaceutiques
doivent engranger des bénéfices pour financer la recherche des médicaments du
futur. Certes. Mais quand le postulat de départ de la recherche annonce que
Vertex "ne souhaite pas mener des essais en France sur un produit qu’ils ne
pourront peut-être jamais commercialiser", j'ai une grosse boule qui me monte
dans la gorge. Si je quitte le monde des Bisounours dans lequel je vis, je peux
penser un instant que si ce même laboratoire arrive à trouver un remède contre
la mucoviscidose, il est capable aussi de ne pas distribuer ce remède dans
certains pays ? A ce moment-là, à quoi bon continuer de lutter contre la
maladie ? Cette perspective est tout simplement inadmissible.
Nous n'allons pas baisser les bras. Nous allons continuer à nous battre.
D'abord, contre la mucoviscidose. Et ensuite, contre les obstacles à tous nos
espoirs de guérison.
Rayons de sourire,
Jessica