Pour le Billet du Jeudi de cette semaine, j'avais prévu de vous parler de
l'article publié dans le magazine Vaincre de ce trimestre, où j'ai été
interviewée suite à ma participation au 1er congrès international dédié aux
professionnels de santé en charge des patients adultes. (Je vous avais fait un
petit résumé de cette conférence dans ce
billet.)
Alors que je cherchais une belle tournure de phrase pour aborder le sujet de
façon positive, j'ai été submergée par une vague de tristesse que j'ai mis du
temps à maîtriser. Mon esprit, qui fait des connexions parfois incongrues, est
parti à toute vitesse vers des images et des pensées douloureuses. J'ai revu
mes amis qui restent figés éternellement dans leur jeunesse, fauchés par la
mort. Je n'ai pas réussi à retenir mes larmes, ni à stopper l'engrenage des
pensées négatives sur mon propre sort. Moi qui me vante de pouvoir toujours
voir le côté positif des choses, je n'en menais pas large.
Finalement, je vais nuancer quelque peu mon propos par rapport à l'interview de
Vaincre.
Ironie du sort, la phrase que le journaliste a choisi de mettre en avant dans
cette article dit que "la confiance en soi est constamment remise en cause
lorsqu'on souffre d'une maladie chronique". Un simple rappel que nous sommes
humains, et donc mortels, aura suffi à ébranler cette confiance en moi, que je
pensais nettement plus solide !
Depuis le temps que je cohabite avec la mucoviscidose, je suis consciente que
ma vie ne tient qu'à un fil (ou plutôt un souffle), et je m'engage à chérir au
maximum tous les bons moments que j'arrive à vivre. Je suis consciente de ma
chance incroyable jusque-là, et je m'efforce de préserver au mieux mon capital
santé pour qu'il tienne le coup le plus longtemps possible. Je crois également
que le côté psychologique joue énormément dans le cadre de l'acceptation de ma
maladie chronique. Alors, quand mon cerveau commence à broyer du noir, et à me
faire douter de mes capacités face aux aléas de la vie, je devrais apprendre à
me blinder et à mettre des barrières en place pour ne pas laisser ce doute
s'installer.
Je suis une fille toujours pleine d'entrain. J'ai énormément d'exemples
positifs à mettre en avant, à commencer par toute ma liste de "moments
d'éternité", ces moments précieux que la muco ne pourra jamais m'enlever. J'ai
une multitude de projets qui m'attendent, et qui sont porteurs d'énergie
positive.
Mais voilà, je suis humaine, je suis mortelle, je suis sensible. Lorsque je me
laisse guider par des idées noires, je perds pied très vite, et je remets en
question tout ce que j'ai construit jusque-là. Cela me fait du bien aussi de
laisser couler les larmes, j'ai l'impression qu'elles aident à balayer mon
chagrin, un peu comme les fluidifiants du mucus. Ensuite, je peux jeter à la
poubelle tous mes mouchoirs usagés et symboliquement, c'est un signe que mon
chagrin aussi est parti à la poubelle.
Penser à la maladie et à la mort, c'est toujours difficile. On a beau savoir
que c'est la contrepartie de notre vie humaine, on n'est jamais préparé. Etre
confronté à la douleur de ses proches, cela fait mal. On se sent impuissant,
alors qu'en fait, on peut être plein de ressources.
Je crois qu'il faut être capable d'entendre ce ressenti de la part de n'importe
qui, pas seulement des malades chroniques. Autorisons-nous un écart quand on a
envie de hurler notre douleur, de pleurer notre chagrin, de se défouler sur ce
que l'on ne peut pas contrôler. Chacun a droit à un petit coup de blues, mais
l'essentiel c'est de trouver les solutions pour remonter la pente, et pour
remettre en lumière tous les aspects joyeux de notre vie. Ce qui m'aide
énormément à reprendre pied, c'est de pouvoir m'appuyer sur mes amis. J'aime
être prise dans les bras, j'aime sentir le toucher, j'aime le contact
physique.
Comme je l'ai mentionné dans l'article, il y a encore quelques sujets dont je
ne veux pas entendre parler car je ne me sens pas assez forte
psychologiquement, mais petit à petit, je reprends du poil de la bête, et je
récupère une bonne dose de confiance en moi pour faire face à mon avenir. Je
peux être fière de mon parcours jusqu'à présent, et je travaille pour que la
suite soit encore plus belle. Pour que je puisse vieillir auprès de l'homme que
j'aime, pour que je puisse voir mon fils apprendre à lire, pour que je puisse
faire un safari photo en famille, pour que je puisse vivre de nouveaux moments
d'éternité avec mes amis, pour que je puisse connaître un jour un monde sans
cette p*** de mucoviscidose.
Tout comme j'ai pu bénéficier du retour d'expérience de patients plus âgés que
moi, j'espère transmettre beaucoup d'espoir à ceux qui s'intéressent à mes
témoignages, et surtout à la nouvelle génération de mucos. La prise en charge
de la maladie a bien changé depuis cinquante ans, et nous avons l'espoir
qu'elle va encore évoluer dans les années à venir. Cette année, mon cheval de
bataille, c'est la sensibilisation. J'ai accepté de participer à plusieurs
prises de parole (dont je vous reparlerai dans ces colonnes, bien sûr !), en
tant que patient partenaire, et cela, c'est une formidable bouffée d'espoir
pour moi !
Rayons de sourire,
Jessica