Feux d'Artifice

Oh la belle verte ! la belle bleue ! la belle rouge !
Cette semaine, la saison des feux d'artifice bat son plein pour célébrer la fête nationale ! Je ne sais pas pourquoi les feux d'artifice me touchent tellement. Je retrouve ma capacité d'émerveillement d'enfant devant ce spectacle son et lumière. Mon intérieur résonne également.
Peut-être parce que mes bronches souhaitent également contribuer à la fête. Le grondement sourd d'un début de toux se fait entendre, un peu comme les fusées des artificiers. Oh, la belle verte qui s'étale sur un mouchoir ! Je préfèrerais une explosion plus claire, dans les tons jaune ou blanc, mais je ne choisis pas. Les aérosols d'antibiotiques devraient aider à nuancer les couleurs de tout ce qui sort de mes poumons, mais les résultats tardent à se montrer. Je ferai une nouvelle bactério de contrôle la semaine prochaine même si je n'ai que peu d'espoir sur ce qu'on va trouver dans cet ECBC...
Au moins j'ai échappé au rouge caractéristique des crachats de sang qui surviennent sans prévenir. Comme la dernière fois, juste à la sortie de ma consultation pneumo à l'hôpital, quelle ironie ! J'avais annoncé, très fière de moi, que ça faisait plus d'un mois que je n'avais pas craché de sang. J'aurais dû mettre mon enthousiasme en sourdine, car dix minutes plus tard, je ne pouvais plus m'arrêter de cracher du sang au beau milieu de la rue Saint Jacques.
Jusqu'à présent la palette de mes crachats est assez limitée en couleurs, et j'espère qu'elle le restera encore ! Même s'il ne faut jamais dire "jamais", car mon corps est toujours capable de m'étonner !
Rayons de sourire,
Jessica

Mathieu - 13 juillet 1997
Comme je prenais mon temps pour lui répondre, il avait cru bon d’ajouter :
— Parce qu’au fond, c’est plutôt elle, le cas désespéré. Avec la muco et tout ça, elle clamsera peut-être avant de finir son lycée…
Cette remarque m’avait scié. Avec Jeanne, on parlait assez souvent de la mort, de nos conceptions de l’au-delà et de nos divergences d’opinion sur la résurrection. Pour une minette de quatorze ans dont les joues s’empourpraient pour un rien, elle s’était fait une idée assez précise des épreuves de la vie qui l’attendaient. Devant les autres, elle paraissait jeune et fragile, mais ce n’était que la surface. En dessous, Jeanne avait un mental d’acier, une force insoupçonnée qu’elle puisait dans l’amour de sa famille, et elle arrivait à se projeter bien plus loin que l’horizon dont lui parlaient les médecins. Je l’admirais pour cela, sans oser lui avouer bien sûr. En plaisantant, elle m’interdisait de mourir avant elle à cause de ma bête addiction à la cigarette. Je lui souriais en retour, de mon air tranquille qui agaçait tant les profs. Pas de danger que je développe un cancer de quoi que ce soit, ça c’était bon pour les autres, mais moi je valais mieux que ça. Néanmoins, je n’étais pas encore assez fort pour me débarrasser de cette cochonnerie. Un homme a du mal à avouer ses faiblesses. Moi, je préférais en plaisanter.
J’entendis ma mère gueuler en bas parce qu’elle avait besoin du téléphone. Je dus donc me résoudre à raccrocher. J’invitai Jeanne à nous rejoindre le soir même avec Cédric et Yann, mais elle avait prévu d’aller voir les feux d’artifice du Pont Neuf avec Daniel. C’était leur dernière soirée ensemble, avant qu’il déménage à Paris.

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