J'ai beau creuser dans ma mémoire, je ne me rappelle pas à partir de quel
âge j'ai commencé à avoir honte de mon corps.
J'ai grandi avec cette énorme cicatrice qui scindait mon abdomen en deux, et
elle ne m'a pas semblé vilaine... jusqu'à ce que je remarque les regards des
autres. Probablement dans les vestiaires du cours de danse, même si ce n'est
qu'une supposition.
Je revois clairement mes pulls d'adolescente taille XXL, destinés à cacher
toutes les formes qui me mettaient mal à l'aise. (mais quelle adolescente n'est
pas perturbée par ces transformations ?) Je visualise encore les vestiaires du
gymnase du collège, où j'ai mis un sacré bout de temps à trouver un morceau de
banc un peu moins exposé pour me changer à l'abri de certains regards. Je
revois aussi les vestiaires du lycée, cette fois équipés de miroirs pour les
filles qui voulaient se remaquiller après le sport. Ces miroirs qui
m'angoissaient au plus haut point, car ils représentaient un risque
supplémentaire que les yeux des autres filles (et de la prof de sport !) ne
s'arrêtent sur moi.
Durant de nombreuses années, j'ai été gênée à la fois par ma poitrine, trop
généreuse à mon goût, et par ma cicatrice, que je considérais comme ma blessure
de guerre. Un double handicap pour arriver à se déshabiller devant les autres.
Je ne parle même pas des cours de natation ! J'ai été rapidement dispensée
à cause de mes polypes dans le nez et de l'air trop humide de la piscine, qui
n'était pas bon pour mes poumons (aucun fondement scientifique dans ces
arguments, bien sûr !).
Mardi dernier, dans les vestiaires du club de sport, je réalise tout le chemin
parcouru depuis ces années ingrates. Certes, je ne risque pas d'être gênée par
le regard des autres, qui sont visiblement tous partis en vacances. Cela
faisait longtemps que je n'avais pas été seule dans les vestiaires, alors j'ai
repensé à toutes les occasions où j'évitais de me déshabiller "en public".
Quand je me suis inscrite dans un club de sport à Londres, je ne passais jamais
par les vestiaires car je me changeais à la maison et je repartais tout de
suite après mon cours pour me doucher à la maison également. D'ailleurs, je
n'ai pas de souvenirs d'avoir jamais pris une douche dans un club de sport. Si
j'ai le choix, je préfère toujours rentrer me doucher chez moi.
Tout de même, j'ai fait des progrès, dans le sens où je ne suis plus
traumatisée par ma poitrine (merci les marques de lingerie qui ont su s'adapter
aux poitrines généreuses) et un peu moins par ma cicatrice (maintenant que ce
n'est plus la seule cicatrice visible que j'ai sur le haut du corps, grâce aux
chambres implantables !). Grâce au regard de l'homme qui m'aime, j'ai su
accepter un peu plus mon enveloppe physique. Mon corps a aussi évolué depuis
que je suis devenue maman, et même si je suis agacée par les remarques des
passants qui me félicitent sur mon petit bidon, je peux comprendre la
confusion.
A une période de l'année propice à "l'opération bikini", je me sens fière de
pouvoir accepter mon corps tel qu'il est. Je ne me mets plus la pression pour
rentrer dans un vêtement trop serré, je choisis une taille plus grande ou plus
ample. J'ai compris que je suis plus belle maintenant que je me plais, d'abord,
à moi.
Et puis hier, en rentrant du kiné, je croise une femme dans la rue qui a une
très belle robe. Lorsque tout à coup, je remarque qu'elle a un port-à-cath au
beau milieu de son décolleté. Je me mets alors à sourire, contente de constater
que je ne suis pas la seule qui n'est plus complexée par ses
cicatrices !
Rayons de sourire,
Jessica