Dès le début de notre relation, mon frère de galère R. m'a parlé de "sa poisse", ce que j'ai interprété comme une façon de se démarquer par rapport aux autres, et nous en sommes rapidement venus à rire ensemble de ces malheureux coups du sort. Entre patients atteints de mucoviscidose, on se comprend facilement. Néanmoins, je fais partie des personnes qui pensent que la chance se provoque, et je ne voyais pas pourquoi il en irait autrement de la malchance.
Lorsqu'il se fait cambrioler le jour où il est censé étrenner son nouveau synthé, acheté le matin même, il y a de quoi râler. Lorsque le facteur égare le cadeau envoyé par la Poste à sa maman, en affirmant avec la meilleure mauvaise foi du monde qu'il avait été déposé dans la boîte aux lettres, il y a de quoi s'énerver. Lorsque son voisin de palier décide de faire des travaux à coups de marteau qui ont duré toute la durée de sa cure IV, il y a de quoi devenir fou. Heureusement qu'on peut rire de ces péripéties du quotidien, et c'est un excellent moyen pour se déstresser !
Comme R., les patients qui ont régulièrement besoin de cures d'antibiotiques par intraveineuse se font poser une chambre implantable, (ou port-à-cath, ou encore PAC), afin de faciliter le passage des perfusions. En effet, les veines des bras sont rapidement abîmées par les fortes doses d'antibiotiques, alors il peut être difficile de faire tenir un cathéter pendant deux semaines pour un traitement en IV. (Les patients qui ont besoin d'une chimiothérapie se font également poser un PAC.)
Ce petit boîtier (encore plus petit dans sa forme pédiatrique de "baby-pac"), mis en place par le chirurgien sous anesthésie locale, est relié à un cathéter placé dans une veine (jugulaire ou sous-clavière) rejoignant la veine cave supérieure. Les antibiotiques qui passent par la chambre implantable arrivent donc directement dans les poumons.
Sur une radio, on voit clairement le port-à-cath, avec sa forme caractéristique de petit boîtier, et le tuyau relié qui arrive jusque dans les poumons, comme sur ce schéma.
Pour ma part j'ai longtemps rechigné à la demande de mes infirmières de me faire poser un PAC (surtout pour des raisons esthétiques), mais après y avoir goûté, je me suis dit que j'avais été bête de repousser cette (petite) opération jusqu'à ne plus avoir le choix, car ma qualité de vie s'est considérablement améliorée avec mon premier PAC. Il a d'ailleurs tenu dix ans avant de se boucher, ce baby-PAC, et je l'ai beaucoup regretté pendant les cures IV de ma grossesse. Du coup j'avais réclamé un nouveau PAC tout de suite après la naissance d'Adrien ! (Je vous en avais parlé dans ce billet.)
Bien sûr, il y a toujours des risques à héberger un corps étranger, le plus important étant le risque infectieux. Une infection locale, simplement au niveau de la peau ou du boîtier, risque de s'introduire dans la voie centrale et de provoquer une septicémie (infection généralisée). De même si le port-à-cath se bouche, il faudra le retirer. Ou encore si le boîtier et le cathéter ne sont plus reliés comme il faut, le produit injecté ne passera plus dans les veines mais dans les tissus environnants, mais on s'en aperçoit heureusement rapidement car la peau "gonfle" à cet endroit-là.
Quand R. m'a dit qu'il avait dû partir aux urgences car il ressentait une douleur dans le cou, je me suis dit que sa malchance légendaire l'avait encore une fois rattrapé. Même s'il y a peu de chance de se faire piquer par un insecte en plein hiver, je me disais que ça pouvait lui arriver, et qu'on en rigolerait plus tard. J'étais à mille lieues d'imaginer son calvaire.
Sur la radio effectuée à l'hôpital, ils ont tout de suite remarqué que son port-à-cath s'était déplacé jusque dans le cou ! Et tout ça à cause de la toux, notre ennemie numéro un dans la mucoviscidose, qui a des effets dévastateurs à ne pas prendre à la légère ! (En plus de la gêne pour soi, en plus des quintes de toux nocturnes, en plus des réflexes de vomissement provoqués par la toux, en plus de l'affaissement des muscles pelviens, en plus du malaise qu'on ressent quand on sait qu'on empêche son compagnon de dormir sereinement, bref, je la déteste, cette toux !)
R. a été pris en charge assez rapidement par son CRCM, mais sa malchance avait décidé de lui coller à la peau. Le chirurgien pensait remettre le tuyau en place, sauf qu'un caillot s'était formé entre-temps dans le cou, alors il a d'abord fallu dissoudre ce caillot grâce à des piqûres d'anti-coagulants. Il ne manquerait plus que le caillot s'échappe et provoque une embolie !
Moralité : il ne faut jamais baisser la garde contre la sournoise mucoviscidose, et surtout, il faut donner l'alerte dès que l'on sent quelque chose d'inhabituel dans son corps.
Rayons de sourire,
Jessica
PS: Merci à R. d'avoir accepté de raconter son histoire, je croise les doigts pour que la chance revienne !