On n’est pas un jeudi mais j’ai perdu le sens du temps qui passe depuis que je suis hospitalisée. Pourtant il y a bien une pendule dans ma chambre, contrairement aux casinos qui cherchent à créer des espaces hors du temps pour que les flambeurs ne se rendent pas compte du temps qu’ils y passent. J’entends le tic tac de la trotteuse. De temps en temps j’entends aussi une sonnerie qui se répète mais je crois que cela correspond à un appel à l’aide plutôt qu’à l’alerte du jackpot.
Depuis lundi je vis dans un monde parallèle, au rythme propre à l’hôpital. Cela fait plusieurs mois qu’il est prévu qu’on me retire le polype identifié dans l’intestin (ainsi que les ganglions associés, et la vésicule biliaire pour éviter les complications post-op). Néanmoins j’ai eu l’impression d’être emportée dans un trou noir. Je n’avais pas du tout anticipé les conséquences de l’acte, de la chirurgie et la convalescence qui s’ensuit.
L’intervention était prévue à 11h mardi matin, je devais être prête pour descendre au bloc à 10h. On est venu me chercher à 12h10, et ensuite j’ai attendu la boule au ventre pendant une heure. Plus le temps passait et plus j’avais peur de cette opération. Déjà parce que j’avais vu sur le compte rendu de la visite de l’anesthésiste qu’elle allait durer 3h20, et je trouvais ça long. Forcément ça explique aussi que « une nuit d’hospitalisation » selon le gastro-entérologue se transforme en « une semaine » selon le chirurgien. Et puis je pensais à l’anesthésie générale doublée d’une péridurale, avec la peur de ne pas me réveiller. Ensuite je faisais ma coquette en espérant que le chirurgien arrive à ouvrir sur mon ancienne cicatrice, histoire de ne pas en avoir une deuxième aussi grosse.
Quand on m’a emmenée au bloc j’ai tout de suite détesté l’anesthésiste, qui m’a simplement dit de m’allonger et de tendre le bras gauche, sur lequel il a posé un garrot. Je lui ai rappelé que j’avais un picc-line à droite, posé justement pour éviter les cathéters en périphérique qui ne tiennent pas la route. Ah bon… tout de suite après il me branche et là je lui fais remarquer que je suis déjà en train de partir dans les choux. Oui oui c’est normal, et puis c’est le trou noir.
Quand j’ouvre les yeux, je suis en salle de réveil, il est 19h40. Quoi, déjà ?? Les visites sont autorisées jusqu’à 20h, je me dis que mon chéri doit s’inquiéter dans ma chambre si je n’y suis pas. Il avait prévu d’arriver à 19h. Bon, ça c’est ce que je me dis dans ma tête mais apparemment je n’arrive pas à transmettre l’information à l’infirmière qui me remet un petit coup de morphine car elle me trouve agitée. À mon second réveil j’arrive un peu mieux à me faire comprendre. J’ai réussi à me réveiller, une angoisse de moins. L’infirmière m’explique le fonctionnement de la pompe à morphine, (je me demande ce qu’elle fabrique plantée dans ma main droite), qui se déclenche quand j’appuie dessus, avec un intervalle minimum de 7 minutes entre deux doses. C’est vrai que j’ai quand même vachement mal…
Je fais encore quelques micro-siestes jusqu’à ce que Cyril remonte mon lit en chambre à 22h. Je vois bien qu’il essaye de me garder éveillée au maximum, il me fait la conversation. Je ne sais pas comment, on en arrive à parler de la cantine de la Banque de France, qui est réputée excellente !
La surprise quand j’arrive dans ma chambre, c’est que je vois Jérôme. Ils l’ont laissé venir m’attendre malgré l’horaire. On a tous les deux les larmes aux yeux, je sais bien qu’il a stressé toute la journée lui aussi. Je n’ai pas beaucoup de forces, j’ai mal sur tout le ventre, mais je suis très contente de le voir à mes côtés, même pour 5 minutes.
J’ai bien dormi jusqu’à 0h30 et ensuite c’était horrible jusqu’à 6h30. Déjà j’avais des brassards sur les mollets, qui se gonflent toutes les 15 secondes avec un bruit d’enfer, et je n’arrivais pas à m’endormir en 15 secondes. J’ai su après coup que c’était de la pressothérapie, pour faire travailler la circulation des jambes même en restant allongée mais je m’en serais bien passée ! Et puis surtout j’avais hyper mal et la morphine ne m’aidait pas du tout. Quand j’ai compris que la veine sur la main avait claqué et que la morphine se diffusait dans ma main plutôt que dans la veine, j’ai eu des envies de meurtre contre l’anesthésiste du bloc.
L’infirmière a débranché la perf inutile et a connecté la pompe à morphine au picc-line. Ma main droite avait triplé de volume et je ne pouvais pas m’en servir…
La journée a été difficile, j’étais en gros déficit de sommeil, et à l’hôpital ce n’est pas facile de se reposer, vu que c’est le défilé constant des équipes. En plus, l’interne m’a stressée en disant que je devais absolument faire le premier lever le matin suivant l’intervention, et je ne voyais pas comment faire. Mine de rien chaque geste tire sur mon ventre, et pour le coup il a été charcuté de partout ! On m’a aidée pour me lever, pour me laver, pour m’habiller (je ne vois pas pourquoi j’ai emporté une valise avec 5 changes, je mets tous les jours la blouse de l’hôpital qui est très moche mais très pratique ! Et vu que chaque médecin qui passe veut voir mon ventre, il n’y a qu’à soulever et hop ! Vœu exaucé !)
L’intervention n’a pas trop aidé mes petits poumons, je galère donc à retrouver mon souffle et je suis souvent sous oxygène. Je n’avais jamais eu des valeurs de saturation aussi basses ! Le kiné m’a donné des exercices à faire pour récupérer, et aussi une technique (pas très folichonne, hein) pour ne pas avoir mal quand je tousse à cause des sécrétions qui remontent. Je dois appuyer sur ma cicatrice au moment où je tousse. Bon…
À mon grand désespoir je n’ai même plus l’énergie de lire, ni de rester plus de 5 minutes devant mon écran de téléphone.
Cependant je note les améliorations au fur et à mesure. J’ai retrouvé la parole, l’énergie de lire un peu, et la ceinture de contention (à porter 24/24h pendant au moins 1 mois) me fait du bien. Hier j’ai réussi à me brosser les dents et les cheveux, j’étais très fière !
L’appétit reprend plus que doucement mais il reprend. Il faudrait que je marche plus mais je suis découragée de devoir porter ma bouteille d’oxygène et mon pied à perfusion en même temps. Heureusement que mon mari est là pour m’aider à supporter tout ça.
Maintenant la prochaine étape va être d’expliquer ce qui m’arrive à mon fils, qui rentre de vacances ce soir, et qui ne comprend pas pourquoi je ne vais pas l’accompagner pour sa rentrée des classes lundi…
Rayons de sourire,
Jessica